Tout d’abord, je tiens à vous souhaiter la bienvenue au Rwanda, Monsieur le Président Macron, mon ami, ainsi qu’à votre délégation.

Cette journée est le moment pour parler du présent et de l’avenir, tout en réfléchissant au passé qui nous a amenés ici.

Le Président vient de faire une déclaration importante au Mémorial du Génocide de Kigali. C’était un discours puissant, avec une signification particulière pour ce qui se passe maintenant, et qui résonnera bien au-delà du Rwanda.

Ses paroles ont eu plus de valeur que des excuses : elles étaient la vérité.

Dire la vérité est risqué. Mais vous le faites parce que c’est juste, même si cela vous coûte quelque chose, même si c’est impopulaire. Malgré certains bruits et certaines voix, le Président Macron a fait ce pas. Politiquement et moralement, c’est un acte de grand courage.

Ces risques ont été payants car il y avait de la bonne foi des deux côtés. Il était important de ne pas précipiter le processus. Les faits devaient être correctement établis. Nos sociétés respectives devaient également avoir la possibilité de débattre et de délibérer. Une étape a conduit à une autre. Et c’est ainsi que nous en sommes arrivés à ce point, qui est lui-même une autre étape, une étape majeure.

Au Rwanda et en France, tant de personnes, trop nombreuses pour être nommées, n’ont cessé de poser des questions, année après année, exigeant de la clarté. Ces personnes viennent de la société civile, du monde universitaire et des médias. Certains sont simplement des citoyens inquiets. Nous ne serions pas ici aujourd’hui sans leurs efforts inlassables, et je tiens à leur exprimer nos profonds remerciements et notre reconnaissance.

La vérité guérit.

C’est le principe sur lequel repose l’ensemble du projet d’unité nationale et de réconciliation du Rwanda. Telle a été notre expérience en tant que Rwandais. Il n’y a pas de raccourci.

Notre conviction, dès le début, était que le processus de prise en compte du rôle de la France devait suivre la même logique. Et de toute façon, nous savions que cela ne pouvait pas être plus difficile que de se réconcilier avec soi-même.

Aucun grain de vérité n’a été sacrifié. Mais le poids de la responsabilité a été remis à sa place : à ceux qui ont pris les décisions. Qu’il y ait ou non des procès, la justice est aussi rendue par le tribunal de l’Histoire. Et le travail de documentation historique doit se poursuivre, conjointement.

Cette quête de vérité s’inscrit dans le contexte de la complexité des défis auxquels le Rwanda a été confronté au cours des 27 dernières années. Le Rwanda aurait pu facilement rester un État en faillite. Certains auraient même pu se sentir justifiés par cette situation. D’autres ont en fait œuvré pour que le Rwanda échoue.

Mais nous avons travaillé ensemble en tant que nation pour concevoir des solutions à nos défis uniques. Et en effet, dans tous les domaines, y compris sur la question des droits de l’Homme, le Rwanda d’aujourd’hui est objectivement une nation transformée pour le mieux. Nous continuons à exister en tant que peuple uni, contre vents et marées. Et nous nous efforçons constamment d’être encore meilleurs.

Il y a une façon de regarder l’Afrique, de l’extérieur, qui associe automatiquement chaque succès à un coût énorme en termes de valeurs et de libertés fondamentales.

Cela ne veut pas dire que l’Afrique n’a pas de mauvais acteurs. Elle en a. Ils sont là ; ils peuvent même être nombreux. Mais pas plus que partout ailleurs dans le monde. La différence est que l’Afrique dans son ensemble en vient à être définie par ces mauvais acteurs, alors qu’ailleurs, ces mauvais acteurs sont des exceptions.

Cette hypothèse crée un point de référence où l’Afrique est toujours en bas, alors que les autres sont en haut. Elle conforte ces autres dans la conviction qu’ils ont un droit naturel de faire et de dire ce qu’ils veulent par rapport à l’Afrique, de donner des leçons et de juger nos choix. Malheureusement, certains des nôtres en Afrique participent également à cette entreprise négative.

La dynamique se poursuit presque éternellement, comme si elle était inarrêtable ou inévitable. Mais ce n’est pas le cas. Vous l’arrêtez en faisant ce que vous croyez être juste, et qui, en fin de compte, peut s’avérer être juste.

Le vernis de la supériorité morale est très mince, une fois que vous commencez à le gratter. Sous ce vernis se cache le racisme, un déni de la valeur intrinsèque et égale de chaque être humain. C’est le racisme qui a rendu tolérable un génocide prévisible en Afrique.

Le racisme et l’idéologie du génocide existent sur le même continuum. Ce sont des formes de déshumanisation, et elles constituent une menace croissante pour la société sur tous les continents. Notre monde civilisé doit s’unir pour combattre le racisme et l’idéologie du génocide de manière concertée et cohérente.

Il y a des attitudes héritées du passé qui doivent changer, et ce depuis longtemps. Et je tiens à dire que le président Macron fait partie de ceux qui ont compris que les choses doivent changer, et qu’il prend une position forte pour essayer de provoquer ce changement.

Il ne s’agit pas de parler au nom de l’Afrique, mais plutôt de faire en sorte que les voix des Rwandais et des Africains puissent s’unir au reste du monde dans la poursuite d’objectifs communs, indépendamment de nos origines.

Le président Macron est quelqu’un qui écoute, et il s’est engagé à soutenir l’Afrique sur la base de ce que l’Afrique elle-même a choisi. C’est différent, c’est mieux, et cela peut durer.

Fondamentalement, cette visite concerne l’avenir, pas le passé.

La France et le Rwanda vont avoir de bien meilleures relations, au bénéfice de nos deux peuples, sur le plan économique, politique et culturel.

Mais les relations entre nos deux pays ne seront jamais totalement conventionnelles. Il y a une familiarité particulière qui résulte de l’histoire complexe et terrible que nous partageons, pour le meilleur et pour le pire. Nous avons choisi de le faire pour le meilleur.

Nous souhaitons établir une relation forte et durable, fondée sur des priorités qui comptent à la fois pour le Rwanda et pour la France. Cela inclut de nombreux points abordés lors de notre réunion bilatérale d’aujourd’hui, tels que l’investissement, la numérisation, l’égalité des sexes, le changement climatique, les échanges culturels, et le soutien à l’entrepreneuriat, aux petites entreprises, aux start-ups, et surtout à l’autonomisation des jeunes. Le Rwanda sera un partenaire solide dans tous ces domaines.

Monsieur le Président, je vous remercie une nouvelle fois, ainsi que votre délégation, d’être parmi nous aujourd’hui. Je remercie tous ceux qui sont ici de leur aimable attention. J’invite maintenant mon ami le Président Macron à faire sa déclaration, et ensuite nous serons heureux de répondre à vos questions.